La ritournelle
Voilà un couple qui a réussi dans la charolaise. Une valeur sûre, la charolaise : costaude, rustique, docile et produisant une barbaque maigre et goûteuse. L’exploitation de Brigitte et Xavier est à l’image de ce spécimen qui ouvre le film, une bête de quelques tonnes qu’ils présentent à un énième concours de beauté pour bovins : solide, fiable et rapportant toujours le gros lot. Leur couple paraît lui aussi bâti dans le roc, même si le travail côte-à-côte au milieu de leurs vaches laisse apercevoir les inévitables traces d’une routine parfois pesante d’où surgit, au détour d’une vacherie, la probable lassitude d’un vivre ensemble qui dure depuis des décennies. L’amour et la complicité, les verts pâturages, la charolaise dans toutes ses splendeurs, la belle demeure de maître, les enfants qui sont partis et les premiers prix qui s’affichent en trophée sur le mur du salon : que demander de plus à la vie ?
Brigitte a priori ne lui demande rien. Rien de plus, rien de mieux, rien de différent. Peut-être juste qu’elle la débarrasse une bonne fois pour toutes de cette affreuse plaque rouge qui lui grignote en douce et en démangeaisons le décolleté qu’elle a pourtant fort joli. Mais c’est toujours quand on ne demande rien, qu’il n’y a ni attentes ni espoirs particuliers, que certaines choses arrivent.
Comme par exemple, une bande de jeunes gens venus faire la fiesta dans la maison voisine, de l’autre côté du champ. Comme par hasard, la rencontre avec un beau gosse débarqué à ladite soirée un peu par erreur. Comme par magie, cette soudaine, inattendue et irrésistible envie de prendre le large, de s’évader loin des bouses, des pis, des cornes, des mouches, de la paille et des barrières électrifiées. Prétextant un rendez-vous chez un dermato – merci quand même à la vilaine plaque rouge pour l’alibi – Brigitte s’enfuit à Paris et se sent comme une adolescente en fugue : un peu coupable mais délicieusement légère. Dans sa petite valise de provinciale, elle a glissé quelques jolis sous-vêtements, des envies d’elle ne sait trop quoi et un furieux appétit de liberté.
De rencontres programmées (y compris un dîner en tête-à-tête avec son insupportable belle-sœur) en rencontres imprévues, Brigitte va s’offrir une douce parenthèse et sans que celle-ci ne marque ni le début de rien ni la fin de toutes choses, la vie à laquelle pourtant elle ne demandait rien va lui offrir en cadeau des réponses aux questions qu’elle n’osait affronter.
Xavier, quant à lui, toujours droit comme un i dans son complet de gentleman farmer, suivra à sa façon les événements. Il prendra lui-aussi sa place dans la parenthèse, en tout bon fermier qu’il est : fier et secret.
Marc Fitoussi retrouve Isabelle Huppert après le délicieux Copacabana et les retrouvailles sont réjouissantes. Elle est absolument crédible en femme d’éleveur bovin et le couple qu’elle forme avec Darroussin fonctionne au quart de tour. Et si le trait est parfois un peu forcé, ce n’est jamais méchant ; la moquerie tendre laisse rapidement place à un portrait attachant et bien senti d’un couple qui fatigue.C’est certes une histoire banale qui a déjà fait défiler bien des bobines de cinéma (enfin, c’est pour l’image vu que nous sommes passés à l’ère numérique !), pourtant la magie du duo, le talent des comédiens et des vaches, les personnages secondaires et le ton à la fois drôle et léger font de cette ritournelle une bien charmante mélodie.