Les poings contre les murs
« Le milieu délinquant n’avait pas cette fermeture sur lui-même qui a été organisée essentiellement par la prison, par cette espèce de « marinade » à l’intérieur du système carcéral, où se forme une micro-société, où les gens nouent une solidarité réelle qui va leur permettre, une fois sortis, de trouver appui sur les autres. La prison, c’est donc un instrument de recrutement pour l’armée des délinquants. C’est à cela qu’elle sert. On dit depuis deux siècles : “La prison échoue, puisqu’elle fabrique des délinquants.” Je dirais plutôt : “Elle réussit, puisque c’est ce qu’on lui demande.” » Michel Foucault, 1975
Il serait très sot pour vous très chère spectatrice, très cher spectateur peu friands du genre , de passer à côté de ce film impressionnant qu’on aurait tort de résumer à son genre, le genre carcéral. Certes Les Poings contre les murs se déroule exclusivement entre les murs gris et délabrés d’une prison de haute sécurité du Nord de l’Angleterre. Une de ces prisons où l’on a concentré pour le meilleur et surtout pour le pire la quintessence de ce que l’Angleterre, brisée socialement depuis le règne de Margaret Thatcher, a produit de haine et d’exclusion sociale. On y suit le jeune Eric Love qui porte bien mal son nom avec son pedigree déjà bien lourd (meurtre d’un pédophile à dix ans et d’un toxicomane à dix-neuf ans) qui sort d’un centre de détention pour mineurs pour rentrer dans « la cour des grands ». Un jeune « surclassé » comme on dit dans le jargon des surveillants, un détenu étroitement surveillé pour sa dangerosité.
Et le film ne déroge pas à certains incontournables du genre : le directeur cupide et sadique, les matons partagés entre compassion pour certains et corruption, les petits clans qui se forment au détriment de quelques souffre-douleurs, les petits trafics qui assoient le pouvoir de caïds (qui parfois ne ressemblent à rien et surtout pas aux parrains de légende) régnant en maîtres absolus, d’autant plus incontrôlables que, généralement condamnés à perpétuité, ils n’ont vraiment rien perdre. Le film impressionne d’emblée par son réalisme, avec force petits détails comme l’huile pour bébé utilisée par Eric pour se recouvrir le corps et ainsi empêcher les matons de l’ agripper, la capacité à créer des armes avec une brosse à dents, un briquet… Autant de petites choses qui renvoient le surestimé Un prophète à une aimable comptine. Il impressionne aussi par sa mise en scène, par le rendu de la claustrophobie de ces espaces-cloîtres où beaucoup ne voient qu’une heure par jour le ciel déjà si bas. Un film réaliste probablement parce qu’il a été écris par un écrivain lui même thérapeute en prison. Un personnage que l’on retrouve dans le film et qui anime un atelier de « gestion de la colère » redonnant le goût de la parole aux gros durs qui ne savaient plus s’exprimer que par leurs poings, donnant lieu à des scènes sublimes d’émotion et d’intelligence.
Mais si Les Poings contre les murs est bouleversant et dépasse largement le genre carcéral déjà balisé, c’est surtout parce qu’il met en scène une superbe relation père/fils, le père d’Eric, Nev, purgeant lui-même une peine de perpétuité dans la même prison. Un père qui n’a jamais pu élever son fils et qui va vouloir rattraper le temps perdu en toute maladresse, tentant d’apprendre à son incontrôlable fiston tout en rage jamais retenue les règles de la survie, entre apprentissage du combat et soumission aux plus forts. Pas franchement une école de vertu, qui s’oppose quelque peu aux tentatives héroïques du thérapeute. Mais paradoxalement c’est bien dans ces conditions extrêmes qu’une relation filiale et paternelle jusqu’ici inexistante va se construire.
Au-delà du brio de la mise en scène, c’est sur un duo d’acteurs extraordinaire que repose la force du film : le jeune Jack O’Connell, tout en furie impressionnante, qui nous avait déjà marqué alors qu’il n’avait que quinze ans dans This is England, et Ben Mendelsohn, qui incarne son père et qui nous avait fait flipper en patriarche criminel dans Animal Kingdom.