D’une vie à l’autre
Derrière la placide Katrine Evensen se cache une louve. Mais qui pourrait le deviner ? En la voyant, on croirait que le bonheur lui est inné et facile. La maison des Evensen, arrimée au bord d’un lac en Norvège, paraît être un havre de paix… Pourtant quelque chose rampe sournoisement, les prémisses d’une tension qui ira s’amplifiant puis ne vous lâchera plus jusqu’au dénouement de l’histoire et même au-delà ! Jamais Katrine ne laisse affleurer à la surface ne serait-ce qu’une vague de tristesse ou d’angoisse venue de son enfance dévastée. Son passé semble minutieusement enfoui, et ses proches sont loin d’imaginer le secret inavouable qu’il recèle. Tout dans sa vie est à la fois faux et vrai.
Vrais ses sentiments pour son mari, Bjarte, beau capitaine de marine roux et costaud. Vraie sa tendresse pour sa mère, Ase, devenue une grand-mère magnifique, tolérante, dynamique, dévouée. Vrai son amour pour sa fille, Julia, adorable écervelée qui a pondu un bébé bien trop tôt. Toute la famille aide la jeune mère, chacun essaie d’alléger la charge générée par le mouflet pour permettre à la donzelle de terminer ses études d’avocate. Une famille qui se serre les coudes, que rien ne semble pouvoir briser. Jamais un reproche ne fuse, ni un jugement. Ce qui est faux ? Les fondations de cette vie de rêve : si elles paraissent de béton, elles ne reposent que sur un lit de sable instable, fragile et honteux.
Tout aurait pu continuer ainsi longtemps… Si seulement… le mur de Berlin n’était pas tombé, réunifiant les deux Allemagne et permettant à la communauté internationale d’avoir accès aux archives de l’ex RDA puis à celles de la Stasi. L’événement qui réjouit le monde entier ou presque va provoquer un an après (on est donc en 1990) une véritable panique dans la vie de Katrine. D’abord c’est ce jeune avocat de la cour européenne, Sven Solbach, qui la contacte pour qu’elle vienne témoigner au procès de réparation des enfants de la guerre enlevés par les nazis. Ces enfants de la honte, fruits du délire eugéniste qui poussait chaque soldat allemand à engrosser les femmes des pays occupés afin de régénérer la race aryenne. Sven n’est pas là en ennemi mais en preux justicier, pour défendre les orphelins ou ceux qui ont cru l’être, séparés de leur mère naturelle et placés dans des orphelinats de la Lebensborn (association SS). 11000 enfants de la guerre sont ainsi nés en Norvège. Katrine est l’une d’entre eux et, une fois adulte, elle fut une des rares à pouvoir retrouver sa mère. Sven est amical, d’autant plus sympathique qu’il ne semble pas insensible aux charmes de Julia malgré les tonnes de couches sous lesquelles elle croule. On imagine vite le gendre idéal qu’il ferait et combien il complèterait à merveille l’idyllique tableau de famille. Alors le refus sec de coopérer que lui oppose Katrine choque. On se questionne. Mais qui, à part Katrine, pourrait anticiper le piège cruel et infernal qui se met en place ?
Pour la première fois depuis bien des années, elle se retrouve totalement isolée, ne pouvant rien dire aux siens par crainte de perdre leur affection, voire de les perdre tout court. Les seules personnes auprès desquelles elles peut chercher un peu de soutien sont les redoutables fantômes de son passé. Ceux qui continuent de rôder, jamais très loin d’elle, ceux justement qu’elle tâchait d’ignorer et d’oublier. Mais l’oubli est un art difficile, tout comme le pardon.
Peu à peu la vérité surgit. Mais elle n’est pas univoque, c’est une grande poupée russe qui vomit quantité d’autres petites vérités comme autant de poupées gigognes. Un jeu de l’esprit poignant, oppressant, qui prend aux tripes, qui fait peser sur les têtes un couperet prêt à s’abattre à tout moment. L’orpheline devient bourreau des siens, victime d’elle même, à moins que ce soit l’inverse ou tout cela en même temps…