The double
Le Double est le deuxième roman de Dostoïevski. Il fut publié une première fois en 1846, puis l’auteur revint à son manuscrit en 1861 pour proposer une nouvelle version du texte en 1866. Le Double est donc un livre double, dont voici la troisième adaptation cinématographique…
Simon James n’est qu’un modeste employé dans une énorme entreprise. Embauché il y a sept ans, ses supérieurs prêtent peu d’attention à son travail tandis que ses collègues le reconnaissent à peine. Sa vie personnelle n’est guère plus flamboyante. Sa mère le méprise et Hannah, la jolie jeune femme employée à la photocopieuse, n’éprouve pour lui qu’une vague amitié.
Un jour débarque James Simon. Sûr de lui, jovial, il ne tarde pas à devenir la coqueluche de l’entreprise… et à séduire Hannah. Or James est, trait pour trait, le reflet parfait de Simon. Sauf que nul ne s’en est aperçu…
Souvent drôle, véritablement angoissant, The Double est un film hors du temps. Il est à peu près impossible de déterminer où et quand Richard Aoyade et son scénariste Aki Korine (le frère de Harmony) ont transposé le roman. Ce pourrait être le futur. Mais le décor n’est qu’un amas de machine désuètes, de tuyauteries et autres mécaniques vieillottes. Ce pourrait être le passé. Mais aucune référence historique notoire ne traverse le film. The Double fait bien partie de ces objets intrigants qui inventent un monde de bric et de broc, un univers où les seuls repères connus sont tirés du cinéma lui-même. On pense ainsi régulièrement à Brazil pour la description cauchemardesque de l’entreprise, ou encore à Fenêtre sur cour dans la façon d’aborder le voyeurisme.
Œuvre sur la folie des administrations qui anihilent toute identité, The Double pose surtout la question du regard. Nous sommes façonnés puis catalogués par les regards que l’on pose sur nous. Nous existons non pas tels que nous sommes, mais tels que nous sommes perçus. Transmis par James ou par Simon, un même rapport entraînera des conclusions totalement opposées de la hiérarchie. De son côté, Hannah se sent différente, selon qu’elle est vue par les yeux de James ou de Simon. Elle s’avère dès lors incapable de distinguer la similarité des deux hommes. James n’est pas le sosie de Simon mais bien son « double ». Une version de lui-même qui parvient à extérioriser d’autres aspects de sa personnalité : sa violence, son autorité, sa virilité…
Décidément stupéfiant, Jesse Eisenberg se régale des deux rôles en un… Aux côtés d’Eisenberg et de la toujours troublante Mia Wasikowska, on reconnaîtra des visages familiers : Wallace Shawn, Sally Hawkins, Noah Taylor, James Fox… Issu du clip, Richard Ayoade est également acteur. En creux, on pourra lire en The Double un film de comédien sur les comédiens. Un film sur tous ceux qui vivent par le regard cannibale des spectateurs.
(A. Gombeaud, Positif)