Big bad wolves
Il y avait de quoi être méfiants : un film estampillé, en gros caractères sur l’affiche, comme étant « le meilleur film de l’année » selon mister Quentin Tarantino himself, ça sentait le gros coup de com’ à plein nez. Il nous faut pourtant bien avouer que, sans être aussi définitifs que l’auteur de Kill Bill, ce polar malsain et malin en provenance d’Israël nous a franchement surpris, et plutôt emballés… On connaît la qualité du cinéma israélien, sa capacité à prendre du recul avec l’idéologie sioniste officielle, à remettre en question la société de son pays, à souligner le poids de la religion (en témoigne le formidable Procès de Viviane Amselem). Les deux jeunes auteurs-réalisateurs deBig bad wolves ont eux décidé de creuser le sillon du film de genre : après avoir réalisé en 2010 le premier survival israélien, Rabies, ils se jouent ici avec audace et humour des codes du thriller…
Le titre du film, que l’on peut traduire par « les grands méchants loups », renvoie explicitement au Petit chaperon rouge de Charles Perrault : on retrouve en effet une petite fille malmenée (magnifique scène d’ouverture), et des chasseurs en quête de la bête…
Une série de meurtres d’une rare violence bouleverse la vie de trois hommes : le père de la dernière victime (Gidi), rongé par son besoin de vengeance ; un policier (Miki) en quête de vérité et qui n’hésitera pas pour la trouver à outrepasser la loi ; et le principal suspect (Dror), un professeur de théologie arrêté et remis en liberté suite aux excès de la police. Autant vous prévenir, le déroulement de l’enquête n’aura rien de classique…
Si le film réserve quelques scènes assez brutales, voire difficilement soutenables, les situations se doublent d’un humour noir et grinçant, créant chez le spectateur un sentiment mêlé de jubilation et de malaise. Un exemple : Gidi entame une séance d’interrogatoire plutôt musclée lorsqu’il est interrompu par un appel téléphonique. Au bout du fil, sa mère le sermonne, lui fait la morale sur sa vie affective. L’archétype de la mère juive en somme. C’est dans ce décalage, où la tension succède au trivial, que le film tient sa force et son ambivalence. Mais attention, il n’est jamais question de second degré qui pourrait désamorcer la gravité des séquences, mais de poser par l’humour un regard critique sur la société israélienne, et de produire une réflexion sur l’un de ses fondements archaïques : la Loi du Talion… Car Dri, le père de la victime et ancien membre des services secrets, n’a que faire de la loi et de la justice des tribunaux pour obtenir réparation et s’engage sur la voie de la vengeance aveugle en utilisant les bonnes vieilles méthodes de torture pour confondre et punir celui qu’il croit être l’assassin. De même, Miki, le policier aveuglé par sa conviction de la culpabilité de Dror, ne s’embarrasse pas non plus des droits du suspect, et son interrogatoire musclé filmé et diffusé sur le net va d’ailleurs lui valoir une suspension. Quant à Dror, violenté, méprisé pas son entourage et exclu de l’enseignement à cause des accusations portées à son encontre, il devient aux yeux du spectateur la victime d’un système arbitraire et de l’horreur de l’irrationnel. Quid du meurtrier ? Le mystère reste entier et le rebondissement final ne fait que valider le fameux adage : la violence engendre la violence.
Par le film de genre et avec une maîtrise incontestable, les deux réalisateurs montrent tout leur talent, tant derrière la caméra que dans la qualité de leur dialogues. On sort de la salle décontenancé, ébahi, effaré et groggy…