Au nom du fils
Au début, ça pourrait être la version belge de La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatiliez, côté Le Quesnoy. Le portrait d’une famille catholique modèle, avec à sa tête une vraie mère courage, Élisabeth, animatrice sur Radio Espoir Chrétien où, telle une Ménie Grégoire dévote, elle professe à ses auditeurs et surtout auditrices des conseils pour familles très religieuses. Élisabeth a donc un mari, deux garçons, elle mène une vie très bien rangée entre émissions de radio, tartes aux pommes pour les goûters familiaux et accueil dans sa grande maison bourgeoise de curés de passage. Jusqu’au moment où tout bascule : son mari meurt mystérieusement dans un accident lors d’une partie de chasse organisée par un groupe de coreligionnaires. Et par dessus le marché elle elle apprend peu à près l’impensable : le prêtre rondouillard et affable qu’elle héberge voue à son fils une affection qui est tout sauf innocente… Du coup ce n’est pas seulement la vie d’Élisabeth qui bascule mais avec elle toutes ses convictions. Et la mère de famille irréprochable va se transformer en serial killeuse de curés dégueulasses !
Avec l’aide de son co-scénariste québecois Philippe Fallardeau (on lui doit le savoureuxMonsieur Lazhar avec Fellag), Vincent Lanoo réussit le tour de force de faire rire à peu près toutes les deux minutes avec des sujets dont on est pas censé rigoler du tout du tout : la pédophilie, la mort d’enfants, le fanatisme religieux. Lanoo, comme tout Belge un peu conscient, a été choqué par le scandaleux silence de l’Église face aux affaires de pédophilie dans un pays où le catholicisme est omniprésent jusqu’au sommet de l’État. Autant dire que sa réaction filmée est à la hauteur de l’indignation légitime. Et comme tout Belge qui se respecte, biberonné au surréalisme ravageur, à l’anarchisme d’un Noël Godin alias l’Entarteur… Vincent Lanoo ose tout : un vrai jeu de massacre quand Élisabeth décide de prendre en charge à coup de chevrotine ou de masse d’armes le problème du clergé pédophile. Même les curés de couleur n’échappent pas à la vengeance implacable de la mère déchaînée : « Mais vous n’oserez quand même pas tuer un noir ? » – « Chiche ! ».
Le film prend totalement à contre pied ces jolies histoires souvent mises en avant de personnages en détresse qui surmontent une épreuve grâce à la foi. Ici Élisabeth retrouve au contraire la vraie vie en se débarrassant des balivernes du clergé, en se désintoxiquant de l’opium du peuple. Car dans cette comédie au vitriol, c’est bien l’omerta religieuse et les comportements sectaires de l’église catholique que Vincent Lanoo dénonce avec brio : il faut le voir ridiculiser la mièvrerie niaise des animateurs de Radio Espoir Chrétien, clouer au pilori la perversité des curés pédophiles ou épingler sans pitié l’intolérance de ceux qui prétendent aimer leur prochain.
Ajoutons que la charge n’aurait pas une telle efficacité sans l’incroyable performance de l’actrice Astrid Whetnall, qui sait parfaitement faire passer son personnage de la catholique ingénue à la tueuse implacable et enragée. Avec face à elle le génial Philippe Nahon (la sale tronche des films de Gaspar Noé) en évêque sans langue de bois.